Marc Chadourne, l'écrivain voyageur

Second enfant de la famille, Marc est né à Brive la Gaillarde. La majorité de ses écrits racontent ses voyages sur tous les continents : L'Océanie, l'Afrique, l'Asie, l'URSS, l'Amérique... 

Marc Chadourne fumant la pipe, photographié par Georgette Chadourne
Marc Chadourne, photographié par Georgette Chadourne

Son enfance en Corrèze

Il naît à Brive la Gaillarde le 23 mai 1895. Le début de sa scolarité se passe à Cublac puis au lycée de Garçons de Brive. Ensuite, il part à Paris, au Lycée Louis le Grand et poursuit ses études à La Sorbonne et à l’Ecole des Sciences Politiques. 

1914-1918

Lorsque la Première guerre mondiale éclate en août 1914, il a 19 ans et s’engage volontairement pour la durée de la guerre le 1er octobre 1914. Il intègre d’abord l’artillerie de campagne puis, il devient élève pilote à l’Ecole de Chartres cherchant ainsi à améliorer sa situation. Il termine la guerre dans l’aviation, sur le front d’Orient. Au moment de l'armistice, il se trouve hospitalisé à Tarente, en Italie. 

De très nombreuses lettres racontent sa vie de « poilu » dans les tranchées ainsi que ses photographies prises avec son « kodak ».

 

La grande guerre lui laisse des séquelles et le pousse en quête de découvertes, d’aventures,… ce qui transparaît dans ses écrits d’après-guerre. C’est dans cet état d’esprit qu’il parcourt tous les continents au fil des années. Il reste toutefois très attaché à la propriété familiale de Cublac, le « Bousquet ». 

Ses premiers voyages

 

De 1921 à 1924, il part en Océanie, nommé Chef de Cabinet du Gouverneur des Etablissements français d’Océanie : Tahiti puis les Iles sous le Vent. Il est accompagné de Emilio Terry, l'aventurier Alain Gerbault...il côtoie Jean Ably. En 1923, son fils Marcel naît de Pauline Pittman Aïtamaï. Pauline, dont le prénom polynésien est Oturau, ne devient que bien plus tard Madame Etienne Schyle.

C'est par l'intermédiaire de Marc Chadourne que Pauline Pittman Aïtamaï accueille en 1930 Matisse en Polynésie. 

Oturau (Pauline) Pittman Aïtamaï et son fils Marcel
Pauline Pittman Aïtamaï et son fils, Marcel

En 1925, encore bouleversé par le décès de son frère Louis, il est nommé administrateur au Cameroun. Il y accueille Marc Allégret et André Gide. Ce séjour sur le continent africain met progressivement fin à sa relation avec Elsa Triolet

De retour en France de 1926 à 1928, il séjourne au Bousquet où il dédie son temps à l’écriture : Vasco mais aussi Cécile de La Folie, récompensé par le Prix Fémina en 1930.

 

 Consulter la critique de Cécile de la folie ©John Marcus, 2013. Partie 1. Partie 2

 

De 1928 à 1930, il parcourt l’Asie : Mongolie, Chine, Mandchourie, Corée, Japon, Indochine, Indes néerlandaises, etc. D'autres explorateurs l'accompagnent, Roy Chapman Andrews, Sven Hedin ainsi que des photographes : Rosa Covarrubias, Pierre Verger,...
 

Au milieu des années 1930, après un cycle de conférences en Italie pour Paris-Soir, il réalise une série de voyages d’enquêtes : Tour de la terre : Extrême Occident et Tour de la terre : Extrême Orient. Dans ces ouvrages, il raconte son voyage et ses entretiens (Gandhi). Il ne rédige pas seulement des chroniques de voyages mais des témoignages et des réflexions d'ordre politique et économique sur l'état du monde, se révélant ainsi visionnaire. 

En 1931, il se rend en Europe du Nord et en URSS aux débuts de l'ère stalinienne : il est interdit de séjour après la publication de L’URSS sans passion

 

Fiancé avec la belle et talentueuse Ève Curie, la distance et la jalousie met à mal leur relation. Lorsque Marc Chadourne part au Mexique en 1931, accueilli par Rosa Covarrubias, Ève Curie rompt leur engagement et Marc écrit son roman Absence. Le Mexique lui inspire aussi Anuahuac ou l’indien sans plumes.

En 1937, il publie le roman Et Dieu créa d’abord Lilith. Cet intérêt pour ce mythe lui vient de Scandinavie, de Christine de Suède.

 

Eve Curie et Marie-Thérèse Chadourne assise dans le salon en fumant à Cublac, Le Bousquet
Eve Curie et Marie-Thérèse Chadourne à Cublac, Le Bousquet

Ses voyages le mènent en "Extrême Occident" : le Japon, les Etats-Unis. Il va d'ailleurs rencontrer en Californie de grands noms du monde du cinéma : Charlie Chaplin, Maurice Chevalier, Robert Florey, Bernard Zimmer, Edward G Robinson, Charles Boyer ou encore le compositeur Igor Stavinsky.

Il épouse, quelques temps après son retour en France en 1935, le mannequin Claude de Biéville et a une fille, Ariel, en 1938. La même année, il est nommé Chargé de Mission d’information politique en Extrême Orient par Georges Mandel, Ministre de la France d’Outre-mer. 

 

Lorsqu'il est à Paris, il mène une vie mondaine, entouré d'intellectuels et d'artistes. Son quotidien parisien pourrait être brossé à travers l'ouvrage de Claude Mauriac, Les Espaces imaginaires, dans une partie qu'il a intitulé "Le temps immobile". 

« Paris, 10 décembre 1937

[…]

A deux pas de là, dans le sous-sol du Triomphe, rue de Berri, Madeleine Le Chevrel reçoit « tout Paris » en l’honneur de Jacques Février qui revient des Etats-Unis où il a donné de triomphaux concerts…

Champagne, atmosphère agréable (un orchestre dans la grande salle proche joue pour les clients : tout Paris est relégué dans un coin). Longues conversations avec Georges Auric, Marc Chadourne, Claude Chadourne. Facilité si poétique –abandon de l’alcool. Il y a là Denise Bourdet qui boit cocktails sur cocktails avec une avidité de mécanique bien réglée ; Jacques de Lacretelle, très jeune, très grand seigneur ; Paul Morand que je viens de quitter. Violet Trefusis et Jacques Irwin : merveilleux manège ; ils font admirablement ceux qui ne veulent pas que l’on sache ! Henri Sauguet. Christian Mégret « beau comme un jeune Dieu ». Georges Poupet, félin, doux, avec des griffes cachées mais prêtes, sans doute. La duchesse d’Harcourt, hiératique, d’une fraîcheur inquiétante. Nora Auric, l’air d’une amazone.

Ses modèles sont là, presque tous, vivants – et je les vois pour la première fois, tant quelque chose d’essentiel m’a été sur révélé.

Auric m’avait machinalement tendu la main, hier soir et je m’étonne qu’il me connaisse. Il sait que j’aime Jouhandeau. Nous en parlons. Il évoque le temps où il habitait Montmartre la même maison que Caryathis – qui amenait chez elle les permissionnaires qu’elle racolait gare de l’Est. « Et quel bruit, chez elle ! Mon travail en était gêné… » (Je songe à la voix extasiée de Jouhandeau me racontant- à la terrasse d’un café proche de l’Ecole militaire- comment sa femme « avait renoncé à la galanterie ».)

Parce que Marc Chadourne a une des plus jolies et des plus élégantes femmes de Paris, parce-que j’ai pris beaucoup de champagne aussi et que je ne recule devant aucune facilité, je lui dis : « Vous êtes un homme heureux… ». Les sourcils remontent sur le front illuminé. « Pourquoi ? – D’abord parce que vous êtes vous… - Moi ?... ». Et pour la première fois cet homme qui sans cesse « joue », pose pour la postérité, me parle de lui avec franchise :

_ Un jour on se retourne sur sa vie. On aperçoit tous ses livres, on regarde son visage d’adolescent éternel qui ne veut pas vieillir, qui ne vieillit qu’extérieurement, et le néant de tout cela vous stupéfie…Il y a aussi l’idée que les autres se font de vous. On y pense comme à un recours pour ne pas désespérer : mais là encore tout est faux. Aucun rapport entre cette image sublimée et vous. Je l’écrirai un jour, mais non pas dans un roman : il faudra une pièce…

Voici maintenant que c’est à sa femme que je m’adresse, la délicieuse Claude Chadourne. La pureté de son visage net de toute souillure, la candeur de son regard. Elle me parle de maman, d’une manière si gentille. Elle me dit de maman ce que moi je pense d’elle, Claude Chadourne : que dans le monde souillé de Paris, son regard sans mensonge, sa rectitude, sa fraîcheur, vous reposent. Qu’elle est un étonnant miracle de pureté…

Madeleine Le Chevrel me demande de rester dîner… C’est ce M. Goldschmidt qui paye (il y a toujours, derrière Madeleine, l’illustre inconnu richissime qui, pour se lancer, paye). Une quinzaine de personnes :  Jacques Février, Nora Auric, Mme Jeanson, Mme Paul Chadourne. Dans mon coin : Poupet, Mme Trezel, Christian Mégret. C’est un nouveau restaurant au-dessus du bar. Très élégant, avec la musique d’un piano… Du vin encre… Peu à peu mon euphorie se transforme en malaise latent. Je ne puis plus m’intéresser aux conversations, le temps s’éternise.

Je suis heureux lorsque vient l’heure de rentrer. Je dépose Madeleine Le Chevrel chez elle et je me couche. »

1939-1945 : l'exil américain

…La Seconde Guerre Mondiale éclate. Marc Chadourne est nommé en 1940 Directeur des Affaires politiques de l’Indochine et est fait prisonnier par les japonais.

Il est embarqué sur un cargo vers une destination inconnue. Il se retrouve aux Etats-Unis. Il racontera plus tard que l'angoisse de cet épisode a blanchi ses cheveux en une nuit.

Une fois aux Etats-Unis, il évolue dans l’univers cinématographique. Il devient notamment ami avec Charlie Chaplin. Il publie ainsi en 1949 Gladys ou les artifices.

Au début des années 1940, il est Professeur de Littérature française à Scripps College, en Californie puis chargé de cours à l’Université de l’Utah à Salt Lake City. Il rencontre les Mormons et publie à cette occasion la vie romancée de Joseph Smith dans Quand Dieu se fit américain en 1950. 

 

Toutefois, la Corrèze lui manque comme en témoigne La clé perdue en 1947. Il va d'ailleurs par exemple accueillir en Californie des amis de la famille Chadourne habitant Cublac. 

 

Lors d'un séjour en France en 1950, le Grand Prix de Littérature de l’Académie française lui est décerné pour l'ensemble de son oeuvre. 

L'après-guerre

Il séjourne aux Etats-Unis en tant que Directeur des Etudes françaises à Connecticut College puis, de 1963 à 1969, en tant que conférencier à Hollins College en Virginie. C’est durant cette période qu’il publie Le mal de Colleen (1955) ainsi que de nombreux travaux littéraires.

 

Il ne manque pas de revenir en France dès que possible. Il se passionne pour Restif de la Bretonne, et, après de nombreuses recherches, il publie Restif de la Bretonne

Il continue à voyager : en 1961, il entreprend un long voyage du Sud de la France jusqu'au Liban en passant par l'Italie et la Grèce. 

 

C’est seulement en 1973 que Marc Chadourne rentre définitivement en France. Même s’il regrette "le Bousquet" à Cublac, il s’installe à "la Coustiera" dans le Haut de Cagnes, dans le sud de la France.

 

Il décède le 30 janvier 1975, à l'âge de 80 ans.